Un décret mal rédigé... décret du 26 août 1987

Publié le par Admin

Dans le domaine des baux d'habitation, un décret du 26 août 1987 (1) définit quelles sont les charges qui incombent aux propriétaire et quelles sont les charges dites "récupérables" auprès des locataires.

Ce décret, pris dans la foulée de la loi "Méhaignerie" du 23 décembre 1986, mettait fin à une longue guerre de tranchées entre locataires et propriétaires, dont l'armistice avait été signé dans les années 70 avec les accords "Delmon". Ayant fait l'unanimité, il avait été étendu à la virgule près au secteur HLM, sans que personne ne se rende compte toutefois des conséquences d'un détail, la rédaction de son article 1 : "la liste des charges récupérables prévue à l'article 18 de la loi du 23 décembre 1986 susvisée figure en annexe au présent décret" ; autrement dit, tout ce qui n'y figure pas n'est absolument pas récupérable !

Une telle formulation supposait que la liste des charges soit extrêmement claire et exhaustive. Evidemment, ce n?était pas tout à fait le cas.

Les "bogues" ont commencé à apparaître avec un arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 1999, puis avec deux arrêts du 7 mai et du 30 octobre 2002, suivis de plusieurs autres, en 2004 et en 2005. Les deux premiers mettaient surtout en cause la lecture, un peu rapide, qu'en avaient faite les bailleurs et administrateurs de biens. Dans le  premier cas, il était stipulé que le décret ne mentionnait pas les frais de main d'œuvre dans le domaine de l'hygiène mais les seuls produits de désinsectisation et de désinfection. Tandis que dans le second cas, il était rappelé que la récupérabilité à hauteur de 75% du salaire et des charges sociales d'un gardien n'était possible que si celui-ci assure dans ses tâches contractuelles à la fois le nettoyage des parties communes et le service des ordures ménagères. Or si au moins l'une des deux n'est pas assurée, aucune récupération de son salaire ne peut être effectuée.

Le troisième "bogue" décelé révèle par contre une véritable erreur de rédaction du décret. A travers une lecture stricte du texte, la Cour de cassation met en cause la récupérabilité des prestations relatives à l'entretien des parties communes et l'élimination des ordures ménagères lorsqu'elles sont assurées dans le cadre d'un contrat d'entreprise. Avec au demeurant un raisonnement subtil mais inattaquable : l'arrêt fait remarquer que le décret, concernant l'entretien des parties communes, s'il admet (article 2a) qu'il "n'y a pas lieu de distinguer entre les services assurés par le bailleur en régie et les services assurés dans le cadre d'un contrat d'entreprise" et que "le coût des services assurés en régie inclut les dépenses de personnel d'encadrement technique", précise néanmoins que "lorsqu'il existe un contrat d'entreprise, le bailleur doit s'assurer que ce contrat distingue les dépenses récupérables et les autres dépenses" et par ailleurs indique que "lorsque l'entretien des parties communes et l'élimination des rejets sont assurés par un employé d'immeuble, les dépenses correspondant à sa rémunération et aux charges sociales et fiscales y afférent sont exigibles, en totalité, au titre des charges récupérables".

Conclusion logique : dans une prestation d'entreprise, les salaires et charges sociales des employés effectuant le travail et ceux du personnel d'encadrement technique sont récupérables, mais pas les frais généraux de l'entreprise, ni son bénéfice, et encore moins la TVA. Si cette dernière est facile à isoler, aucune facture ne fera jamais ressortir la contribution aux frais généraux et la marge bénéficiaire... Autrement dit aucune facture de nettoyage ou de service d'ordures ménagères n'est récupérable.

Le ministre à l'époque en charge du logement, Gilles de Robien, s'en est ému et a fait établir par le président de l'ANAH, Philippe Pelletier, un rapport qui a paru sur le moment faire l'unanimité et qui préconisait quelques solutions simples pour remédier aux principaux défauts du décret. Malheureusement, la concertation engagée laborieusement sur la base de ce rapport dans le cadre de la Commission nationale de concertation des rapports locatifs n'a pas permis d'aboutir à un accord.

Le législateur à la rescousse

Las
d'attendre un décret ministériel et souffrant plus que d'autres de l'insécurité juridique créée par ces jurisprudences, les bailleurs sociaux ont décidé d'agir par la voie parlementaire, dans la brèche ouverte par l'immense chantier législatif de la loi "ENL" (engagement national pour le logement). Limité à 11 articles et des objectifs modestes dans sa première mouture, ce projet de loi a explosé au cours de ses passages successifs au Sénat et à l'Assemblée nationale.

Concernant les charges récupérables, deux amendements adoptés en première lecture reprennent les propositions du rapport Pelletier :

- le premier permet de revenir sur la jurisprudence de la Cour de cassation en prévoyant que le coût des services assurés dans le cadre d'un contrat d'entreprise correspond, pour le calcul des charges récupérables, à la totalité de la dépense, toutes taxes comprises, acquittée par le bailleur ;

- le deuxième introduit la faculté de déroger à la liste des charges récupérables, fixée par décret, par la voie d'un accord collectif local qu'un bailleur peut conclure avec une ou plusieurs associations de locataires portant sur tout ou partie de son patrimoine. Ces accords sont obligatoires dès lors qu'ils ont été conclus soit par une ou plusieurs associations regroupant au moins le tiers des locataires concernés, soit par une ou plusieurs associations regroupant au moins 20% des locataires concernés et affiliées à une organisation siégeant à la commission nationale de concertation. A défaut, les bailleurs peuvent aussi proposer directement aux locataires des accords de même nature.


Le cas des nouveaux contrats d'ascenseurs


Au problème créé par ces jurisprudences, s'ajoute depuis quelques mois une difficulté supplémentaire : la récupérabilité des nouveaux contrats d'entretien d'ascenseurs conclus en application des dispositions du décret du 9 septembre 2004. Les anciens contrats régis par l'arrêté du 11 mars 1977 doivent à compter du 30 septembre 2005 être remplacés au fur et à mesure de leur échéance avec de nouvelles clauses obligatoires et des obligations nouvelles pour l'ascensoriste.

Jusque là, les anciens contrats pouvaient être "simples" (sans remplacements de pièces) ou "complets" ; dans ce cas, un arrêté avait fixé à 73% la part de ces contrats récupérables auprès des locataires.

Introduit dans les mêmes conditions par l'USH, un amendement au projet de loi "ENL" rend récupérables, auprès des locataires soumis à la loi du 6 juillet 1989 et à ceux du parc social, les dépenses effectuées par le bailleur dans le cadre d'un contrat d'entretien relatif aux ascenseurs répondant à la nouvelle réglementation. Il précise que sont récupérables les dépenses liées aux opérations et vérifications périodiques minimales et, parmi les opérations occasionnelles, la réparation et le remplacement de petites pièces présentant des signes d'usure excessive, ainsi que les interventions pour dégager les personnes bloquées en cabine et le dépannage et la remise en fonctionnement normal des appareils.

Une traduction détaillée de cet amendement, devra être faite dans le décret de 1987, et son application impliquera que les ascensoristes fassent ressortir dans leurs contrats et facturations le coût des prestations tenues pour récupérables, et celles, en fonction du "package" choisi par le propriétaire, qui ne le seront pas.

Les autres amendements devront également être traduits dans le décret de 1987, au terme d'une concertation dont l'issue n'est probablement pas pour demain ! En attendant leur adoption aura au moins l'avantage de bloquer l'application par les tribunaux de l'interprétation rigoriste donnée par la Cour de cassation au décret dans sa forme actuelle !


(1) décret n°87-713 du 26 août 1987

(2)
Cass. 3ème Ch. civ. 10 mars 1999, n°97-10499
Cass. 3ème Ch. civ. 7 mai 2002, n°00-16268
Cass. 3ème Ch. civ. 30 octobre 2002, n°01-10617 

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